Exposition au Musée des beaux-Arts du Canada, Ottawa; du 16 juillet 2021 au 6 septembre 2021
Une très belle exposition au MBAC à Ottawa: un ensemble d'œuvres soigneusement choisies (y compris de très belles gravures) pour refléter le contexte hollandais qui a vu éclore l'extraordinaire richesse et la qualité de la production de Rembrandt et de ses contemporains des Provinces-Unies.
On se serait par contre volontiers passé des leçons de morales qui émaillent le cheminement à travers l'exposition, suintant la bien-pensance et frôlant la fraude intellectuelle.
Si l'on n'en savait rien avant d'entrer là, on comprend dès les premiers visuels (cartes, cartouches, explications) que la prospérité des Provinces-Unies au XVIIe siècle repose en grande partie sur le négoce colonial (parfaitement perceptible dans le contenu des tableaux: fruits exotiques, porcelaines chinoises, richesse des commanditaires), et en partie sur la traite des esclaves. J'ai trouvé pour le moins déplacé de prendre à partie les spectateurs que nous sommes, venus admirer des toiles de Rembrandt et son entourage, en nous interrogeant (je ne saurais répéter la question mot pour mot, n'ayant pas pris de notes): "En raison des morts innombrables entraînés par ce trafic d'humains, combien d'artistes en puissance ne sont pas nés?".
Et à un autre endroit, la religion des autochtones (si tant est qu'il n'y en ait qu'une?) nous est présentée comme une religion de paix, d'ouverture à l'autre, en opposition avec la religion chrétienne imposée par la force, discriminante et justifiant l'esclavage...
Loin de moi l'idée de défendre un parti contre l'autre, l'histoire est l'histoire, et quoi qu'on fasse, on ne peut pas la défaire. Le parti-pris n'est pas la question. Ce que je n'admets pas, c'est la manière dont quelques esprits s'érigent en donneurs de leçons culpabilisatrices et politiques sous prétexte d'histoire de l'art.
Et permettez-moi d'ajouter au passage, que je trouve quand même assez outrecuidant le geste des commissaires de l'exposition, d'introduire au milieu d'œuvres de Rembrandt et consorts quelques créations d'art contemporain: les cuillères collées sur un mur ont peut-être un intérêt propre dans leur contexte, mais ne sont certainement pas pertinentes à côtés des chefs-d'œuvre de Rembrandt.
Ce n'est ni par des astuces de ce genre ni par des procédés intellectuellement douteux que l'on répare des injustices.
Pour autant que vous puissiez faire abstraction des commentaires de ces moralisateurs s'ils vous déplaisent, l'exposition vaut le déplacement; ne la manquez pas.
Œuvres en illustration:
Autoportrait au chapeau et aux deux chaînes, Rembrandt van Rijn (v. 1642–1643, Museo Nacional Thyssen-Bornemisza, Madrid). Huile sur panneau. 72 × 54,8 cm
Jeune femme à la cape bordée d’or, Rembrandt van Rijn (1632, The Leiden Coll., NYC). Huile sur panneau. 59 × 44 cm
L'orfèvre Jan Lutma, Rembrandt van Rijn (1656, MBAC, Ottawa). Eau forte et pointe sèche sur vélin. 18,9 x 14,7 cm
Je suis complètement en accord avec vous. L'infiltration de ces idéologies dans nos institutions culturelles est une imposture. Le décolonialisme ( cancel culture ), qui veut nier l'histoire, nous en fait pourtant revivre ces pages les plus sombre. Il faut oser le nommer et résister à cela, le dogmatisme moralisateur n'a pas sa place dans nos musées.